Yoshie Araki, Chen Weinong, Kugen, Rofu, Eukeni Callejo, Lyang Pillet, Michel Pinosa, Christine Dabadie, Claire Kito, Rémi Gastambide

Du 7 mai au 11 août 2008

L'école Zen de Paris existe depuis une quarantaine d'années. Une génération, formée par la pensée orientale, a marqué son époque. Parmi elle, des peintres, des calligraphes, des sculpteurs, des céramistes et des poètes ont prouvé que les arts inspirés du Zen ont pu survivre à leur transplantation en Occident et qu'ils y ont même trouvé un ressourcement inattendu. Ses membres, sans toujours se connaître, travaillent, produisent et exposent en ordre dispersé. Cette exposition se propose de leur donner une reconnaissance publique, une plate-forme commune, un espace de dialogue et de confrontation des diverses sensibilités qui se reconnaissent dans l'esthétique du Zen, si moderne et si contemporaine malgré son passé millénaire. 

 

 

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"Teapot" par Lyang Pillet

 

Un entretien avec Fabrice Midal. Propos recueillis par Marc Higonnet.

Marc Higonnet : A l'heure ou le Musée d'Art Moderne Georges-Pompidou présente une exposition intitulée "Traces du Sacré", il nous est apparu pertinent d'exposer un art pénétré de spiritualité quoique entièrement dépris de sacralité. Aujourd'hui, l'implantation du Bouddhisme et son acclimatation sous nos latitudes n'est plus un fait contesté, c'est un phénomène sociologique de première ampleur. A quoi tient l'engouement des occidentaux pour l'esthétique extrême-orientale ?
Fabrice Midal : L'art moderne, cherchant à retrouver cette vision du sacré que l'Occident a peu à peu perdue, s'est pour cette raison même et dans une très large mesure tourné vers l'Orient. La plupart des historiens de l'art ne parlent pas de ce phénomène, tout comme ils passent sous silence le fait qu'une des plus grandes parts de l'art moderne au XXe siècle a été pensée et vécue comme une aventure spirituelle. Et pourtant… Les peintres impressionnistes et postimpressionnistes se tournèrent vers le Japon et y découvrirent un espace reposant sur la vacuité et non plus sur la logique de la représentation métaphysique. Brancusi passa de nombreuses heures au Musée Guimet et connaissait très bien les collections d'art asiatique qui inspirèrent ses recherches plastiques. Il écrivit même : « Le bouddhisme est ma morale. » Toute l'abstraction s'est tournée, à un moment tout au moins, vers le bouddhisme – de Kandinsky à Piet Mondrian ou Malévitch. De nombreux peintres dont Mark Tobey ont fait le voyage au Japon dès les années 1930 et y découvrirent l'art de la calligraphie. Brice Marden, Sam Francis ou Franz Kline seront marqués par cet engagement. Ils seront suivis en France par toute une génération d'artistes comme Henri Michaux ou Jean Degottex. Le mouvement Fluxus, en partie grâce au rôle de John Cage, fut lui aussi profondément marqué par le Zen que leur présenta D.T. Suzuki. La direction de l'histoire de l'art a changé d'une manière que je crois radicale. Comme l'écrit Danto : « A quel point le Dr Suzuki a aidé à produire ce changement ou y a simplement contribué, n'est pas quelque chose que l'on puisse dire avec certitude. Mais les gens qui firent ces changements étaient eux-mêmes les étudiants de Suzuki, d'une manière ou d'une autre. »

MH : Ne peut-on considérer que l'art "bouddhique" est une contradiction dans les termes ?
FM : Je ne crois pas que l'art moderne soit bouddhique. Mais il a été marqué par lui. Le bouddhisme lui a permis de retrouver un rapport au sacré, libéré de tout ancrage iconique. Sur le bouddhisme, précisons un ou deux points. Le Bouddhisme a donné naissance à une tradition artistique immense. Il a fait des diverses représentations du Bouddha autant de symboles de cette présence, sans chercher à saisir la vérité historique, anecdotique et circonstancielle de la vie de cet homme. Cette présence est souvent recouverte par un discours religieux, moraliste et dogmatique dans lequel sombre parfois le bouddhisme. On a alors l'impression qu'il faut appartenir à une Eglise pour entrer dans cette voie. La fraîcheur et la liberté inouïes de la parole du Bouddha s'étiolent ainsi. L'art aide à les retrouver. Il nous rappelle l'importance de toujours en revenir à l'invitation de célébrer la beauté du présent vivant. C'est là seulement que nous pouvons rencontrer le Bouddha comme une présence vivante, celle de notre propre visage. Le Bouddha n'a pas développé une théorie qui pourrait s'appliquer à l'art, mais sa manière d'être et de voir le monde est au cœur de la compréhension qu'il en a. Le Bouddhisme nous a transmis un chemin pour apprendre à donner droit à une présence que rien n'entrave, qui ne débouche sur aucune fixation ou crispation. Habiter ce présent est faire l'expérience de la beauté. La beauté entendue non selon une démarche esthétique mais comme la qualité de ce qui est le plus entier au cœur du non attachement. Etre artiste, c'est être en quête de la magie inhérente au monde phénoménal et chercher à la saluer partout où elle est présente. C'est croire que les œuvres muettes ont la capacité d'éveiller la conscience de l'homme. L'artiste est ainsi engagé dans un combat pour nous rendre la vue, pour nous faire voir le monde que nous ne savons plus regarder.

MH : Dans ce mouvement d'éclosion artistique, Paris fut favorisé plus qu'aucune autre capitale européenne. Ce foisonnement créatif est à mettre sur le compte de la présence de maîtres qui y formèrent des disciples pendant vingt ans. En quoi les arts inspirés de la pratique du Zen se distinguent-ils des autres arts bouddhistes ?
FM : L'art inspiré du Zen, loin d'être la production d'œuvres décoratives, est un exercice spirituel de dépouillement pour nous apprendre à être à l'unisson du monde, « à voir les choses telles qu'elles sont ». A laisser le monde apparaître, à voir ce qui est et être présent — voilà qui est difficile et demande un chemin. L'artiste cherche à se libérer et à nous libérer des conditionnements qui préjugent de ce que l'on voit. Ne plus voir les choses dans leur simple apparence —  la carafe, une pomme, les piétons —  mais par exemple l'espace, l'intervalle qui les sépare et les unit. En ce sens, toute œuvre d'art authentique vise à nous éveiller des habitudes qui émoussent notre expérience. Tel est aussi le sens de la pratique de la méditation. La pratique du Zen nous invite à découvrir ce présent que nos conceptions et élaborations émotionnelles nous font oublier. Sans agression et sans jugement, elle nous apprend à percevoir les choses avec plus d'attention et de clarté. C'est une expérience pure et directe. Comme le disait le peintre Georges Braque : « Avoir la tête libre : être présent. » C'est pourquoi l'art est si nécessaire. Le sacré ne dépend plus d'une iconographie mais de l'état d'esprit de l'artiste. Même les choses les plus simples telles que des pierres, de l'herbe, un concombre ou un bambou peuvent être représentées avec autant de ch'i yün [tonalité spirituelle] qu'une image du Bouddha. Pour l'artiste moderne, le sacré ne réside plus dans le visage d'un Dieu, mais dans la célébration de la présence. Etre fidèle au Bouddha consiste, en ce sens, à être fidèle à l'esprit d'éveil – et peu importe ce que l'on cherche à montrer, que l'on peigne un Bouddha, un nuage dans le ciel ou une peinture abstraite. Ce qui importe est l'expérience de liberté qui préside à l'œuvre.

 

Fabrice Midal est l'auteur de Au service du Sacré, éd. du Grand Est.